LA NURSE : LE SANG DE L’INNOCENT

Mal aimé par nombre de fantasticophiles, plus ou moins passé sous silence par son propre géniteur, La Nurse, sorti en 1990, a de quoi intriguer avant même ses premiers plans visionnés. Sa réception eût-elle été différente s’il n’était signé par William Friedkin, condamné à livrer des œuvres de la trempe de L’Exorciste ou de Sorcerer ad vitam aeternam sous peine de brûler dans l’enfer des critiques assassines promptes à faire la fine bouche plutôt que de considérer ce qu’on leur propose avec un regard neuf ? Pas facile, non plus, d’avoir fait ses armes à l’orée des années 70, alors que l’horreur et le fantastique connaissent un nouveau tournant, puis d’aborder, vingt ans plus tard, une décennie revenue de tout, peinant à apporter du sang frais après tous ces chefs d’œuvre séminaux, ces personnages iconiques insurpassables, indétrônables.

 

Cette nostalgie de l’âge d’or pousse à qualifier certaines œuvres de mineures, voire de ratées. Il faudrait, pour apprécier une œuvre, être capable à la fois de la replacer dans son contexte, comme la pièce du puzzle qu’est le grand tout du fantastique, et aussi de s’en extraire, de barrer la route aux comparaisons, aux attentes, mères des frustrations. Ceci fait, La nurse est un film prenant, assumant ses partis pris de conte fantastique dans lequel le quotidien et l’onirique se tutoient constamment. La modestie du métrage se révèle même être sa grande force. Aucune prétention, aucun calcul ne ressort de cette œuvre traitée avec sincérité et simplicité.

 

Même si un hibou, charriant mystère et étrangeté, ouvre le film, c’est sur la voie du thriller que La Nurse nous emmène d’abord. Une ouverture efficace, au découpage imparable, voit ainsi la vie d’une mère de famille basculer lorsqu’elle découvre un lit vide annonçant la disparition de son nourrisson. Quelques plans furtifs ont vendu la mèche : la nounou est dans le coup ! Aucun mystère sur ce point, et le film ne jouera pas sur ce suspense (comme le fera en revanche La Main sur le Berceau de Curtis Hanson, sorti l’année suivante). Lorsque Phil et Kate recrutent Camilla pour s’occuper de leur petit Jake, on connaît d’emblée le danger que courent l’enfant et les parents. De là naît la tension distillée par le film. La nurse d’apparence angélique parviendra-t-elle à ses fins ?

 

Le principal attrait du film réside dans son climat fantastique, ou plutôt, la dimension fantastique qu’il tresse au quotidien. L’hésitation est d’ailleurs notable dès que l’on met en regard les titres français – La Nurse – et anglais – The Guardian, autrement plus mystérieux – du film. Car Camilla est tout de suite annoncée comme une créature maléfique. Elle n’est issue d’aucune mythologie connue, mais elle appartient, comprend-on, à une race ayant régulièrement besoin du sacrifice d’un bébé âgé d’un mois pour continuer à vivre, le sang pur d’un nourrisson étant nécessaire, pour on ne sait quelle raison, à sa survie. Cette condition donne lieu aux plus belles et étranges scènes du film, comme lorsque Camilla est agressée alors qu’elle se promène avec Jake, et qu’elle court dans la forêt pour rejoindre son arbre, devenant comme vivant face au danger, et réglant leur compte aux poursuivants tandis que Camilla observe tranquillement la scène. On retiendra également parmi les images marquantes ces visages de bébé dessinés dans l’écorce de l’arbre, emprisonnés à jamais dans les pleurs de leur jeune âge.

 

Le contraste entre le dessein maléfique de Camilla et son comportement doux et attentionné contribue également à flouter les repères du genre. Elle n’est pas une méchante à proprement parler. Si son plan réussit, elle sèmera la désolation au sein d’une famille, mais sa volonté n’est pas de faire le mal. C’est la survie qui la meut. On n’est pas ici dans le thriller psychologique, ni dans le film d’horreur, mais dans le conte. L’ogresse prodigue ses soins, patiemment, avec la « tendresse souple d’une mère » chère à Baudelaire. Le personnage trouve en Jenny Seagrove une interprète de choix, suffisamment douce et ordinaire pour qu’on lui confie son enfant, mélange d’ingénue et de femme fatale qui s’ignore, séductrice dont on ne saurait dire si elle l’est ou non à son insu (elle mettra en émoi le père de famille et fera tourner la tête d’un ami de la famille qui paiera cher le fait d’avoir découvert le pot aux roses), mais surtout créature de la nature, femme-arbre tout entière vouée à des pratiques occultes apportant au film tout son relief, en plus de son enjeu.

 

La rencontre entre cette dimension de conte et le quotidien le plus prosaïque (un couple, un bébé, une nouvelle maison, des repères à retrouver) donne un résultat assez étonnant et vraiment intéressant. Les velléités mortifères de Camilla croisent les liens unissant une famille. Le récit bâtissant très progressivement l’opposition entre les deux sphères, à mesure que le doute sur les intentions de la nurse grandit, ainsi que le montage insérant parmi la vie de cette famille des séquences purement oniriques ou fantastiques, contribuent non pas à générer un doute sur la nature des évènements, mais bien à entrelacer deux niveaux de réalité : celle que l’on connaît, et celle qui nous échappe. Les mettre sur le même plan est ce qui fait la beauté de ce film.  La Nurse ne cherche pas à nous faire croire à un mythe, il suggère qu’il n’y a aucun doute sur le fait qu’il existe, et que nous pouvons tous le croiser sur notre route. Le fantastique ainsi débarrassé de ses oripeaux fantasmagoriques apparaît alors dans toute sa nudité : c’est l’éternel combat contre l’adversité, la mise au jour de nos peurs et de nos luttes. La métaphore ne se tapit plus dans l’ombre. Elle porte des robes à fleurs et nous sourit.

 

Audrey Jeamart

LE SADIQUE DE NOTRE DAME : EXORCISME ET MÈCHES GRISES

Il n’est pas rare, en explorant la filmographie de Jess Franco de tomber sur plusieurs montages d’un même film distribués le plus souvent sous des titres différents. La plupart du temps, ces différentes versions sont le fruit d’un impératif commercial ou d’une stratégie pour contourner la censure (les versions habillées et déshabillées de certaines séquences de L’HORRIBLE DR. ORLOF ou des EXPÉRIENCES ÉROTIQUES DE FRANKENSTEIN) et n’altères pas ou très peu l’intégrité du produit. Il est quelques exceptions à cette règle lorsque c’est un autre que Franco qui se charge de tourner séquences alternatives et rallonges érotichiantes, mais ceci est une autre histoire. Ces altérations ne redéfinissent que partiellement la nature du film.

L’exemple de LA COMTESSE NOIRE est à ce titre assez parlant, puisqu’il se décline en trois versions distinctes : la première qui reflète le projet original de l’auteur et mêle la mélancolie gothique induite par la nature vampirique de son personnage principal à un fétichisme voyeur encouragé par les besoins peu orthodoxes de son vampire, la seconde, LES AVALEUSES qui fait fi d’une partie des dialogues de l’original et, comme son titre l’indique, est la version « hard » (LA COMTESSE PERVERSE eut aussi droit à ce traitement avec LES CROQUEUSES) et la troisième sortie sur les territoires anglophones sous le titre EROTIKILL et qui n’a pourtant plus rien d’érotique, le vampirisme ayant recouvré ses attributs traditionnels et le film y ayant perdu une vingtaine de minute, il s’agit de la version « purement  horrifique ».

A d’autres moments, c’est au cœur même du film original que ces révisions s’attaquent, comme ce sera le cas avec AL OTRO LADO DEL ESPEJO (1973), distribué en France dans une version bien différente dirigée par Franco lui-même, LE MIROIR OBSCÈNE (où ce n’est plus le père de l’héroïne mais sa sœur qui hante le miroir titulaire). Ce n’est plus alors seulement à un montage expurgé ou épicé que nous avons à faire, mais bien à un nouveau film à part entières. LE SADIQUE DE NOTRE DAME (1979) est de cette catégorie allant jusqu’à n’être plus considéré par son réalisateur comme un produit dérivé du projet initial, mais bien comme la version définitive.

 

L’ossature et une bonne partie de la musculature d’un film de cinq ans son ainé, EXORCISME ET MESSES NOIRES (1974), constituent environ 70% du métrage du SADIQUE DE NOTRE DAME. Pour autant ce dernier n’est pas un simple remontage qui orienterait le premier un peu plus vers le sexe ou vers une chaste horreur et pour cause, ces deux remontages existent déjà depuis longtemps (respectivement SEXORCISME et DEMONIAC). LE SADIQUE DE NOTRE DAME est, à l’image de son titre, un recentrage sur le personnage principal incarné par Franco lui-même, ici avec cinq ans et quelques mèches grises de plus. La totalité du nouveau métrage (une trentaine de minutes) tourne autour du personnage de Paul Vogel, ce qui modifie significativement la tonalité du film et l’ancrage émotionnel du spectateur.

 

LE SADIQUE DE NOTRE DAME conserve les prémices d’EXORCISME ET MESSES NOIRES, à savoir le fait que Paul Vogel, fanatique de l’inquisition, est témoin, dans une cave parisienne reconvertie en boite branchée, d’un simulacre de messe noire et qu’il se fait une mission de sauver l’âme des participants en les envoyant ad patres. De ses exploits, Vogel tire des nouvelles qu’il espère faire publier dans une revue littéraire à sensation, Le Poignard et la Jarretière. La question de savoir si Vogel, visiblement dérangé, prend le spectacle de cabaret pour une véritable messe noire ou s’il considère simplement qu’on ne plaisante pas avec le diable et que ce genre de divertissement est un péché mortel en soi n’est jamais vraiment adressée, tout comme celle de savoir quel regard il porte sur les publications habituelles de la revue dans laquelle il espère être publié, et l’on est forcé de suivre la croisade du tueur en se fiant à sa morale biaisée, ce qui renforce le sentiment d’ambigüité. A cette base immuable, Franco ajoute un élément d’information capitale, à savoir que Vogel n’est plus seulement cet obsédé de la punition divine aux ambitions littéraires contrariées, mais un prêtre défroqué, soit plus seulement un être marginal par ses idéaux, mais un être rejeté par le milieu même qui a façonné sa folie. Franco pousse ici le pamphlet anticlérical à son paroxysme en suggérant que Vogel n’est pas seulement le bourreau mais aussi et surtout la victime.

Toutes les nouvelles scènes accentuent cette impression de solitude, de rejet et de marginalité, à commencer par la séquence d’ouverture qui voit Vogel se réveiller, après une nuit passée dans la rue, au milieu des clochards alors que passe un camion poubelle. Lorsqu’il traverse les rues, au milieu de la foule, il est toujours seul, les passants interloqués s’écartant du chemin de la caméra qui accapare leur attention, ne le regardent même pas, la foule ignore ce pauvre gars et l’acteur-réalisateur fait semblant de chercher lui-même à qui la caméra peut bien s’intéresser : une astuce simple mais efficace qui lui assure que personne ne s’intéresse à lui. D’autres scènes additionnelles voient Vogel se confier à un ancien collègue séminariste qui déplore les dérives de son camarade et qui malgré toute la compassion dont il fait preuve à son égard lui signifie sans ménagement que l’Eglise se lave désormais les mains de son cas. Cette absence de refuge pour Vogel se reflète dans le fait qu’il ait un jour choisit de dormir dehors plutôt que dans sa propre maison que l’on découvre plutôt cossue mais qui est le lieu de ses activités meurtrière et non celui du confort matériel ni du réconfort spirituel.

L’intégralité des scènes de fausses messes noires et la partouze façon bourgeois encanaillés qui suit l’une d’elles sont reprises presque telles quelles et on aura à nouveau le plaisir de voir Claude Sendron, réalisateur bien souvent responsable du caviardage made in Eurociné, mettre « de l’ordre à ces orgies » et répliquer ironiquement lorsque l’une des participantes l’enjoint d’y prendre part : « Oh non, ce n’est pas pour moi ». N’y aurait-il pas là de la part de Franco une petite pique en direction des Lesoeur et de leur manie d’engager d’autres cinéastes pour épicer ses films ? Mais Franco ne s’est pas contenté d’inclure ses nouvelles scènes clés à la structure existante d’EXORCISMES, il a totalement réorganisés le déroulement du récit, réordonnant les entrevues entre Vogel et le rédacteur en chef du Poignard et la Jarretière et sa secrétaire, Anne (Lina Romay) ainsi que l’avancement de l’enquête sur les meurtres de Notre Dame menée par Olivier Mathot.  À la lumière des informations nouvelles sur Vogel, sa relation avec Anne en devient plus poignante et son conflit intérieur plus visible qu’il ne l’était en 74, un nouveau doublage souligne dans les réplique de Vogel le désir de trouver en Anne un esprit compréhensif, et rend l’échec de cette connexion spirituelle tant désirée encore plus douloureux.

 

Seule ombre au discrédit du SADIQUE DE NOTRE DAME, l’empêchant d’être bel et bien la version définitive de l’histoire de Paul Vogel : le destin de la pauvre Anne laissé sans suite. Si à la fin d’EXORCISME ET MESSES NOIRES, Anne était sauvée alors que Vogel était rattrapé par la police alors qu’il projetait de s’enfuir en la kidnappant, elle est ici toujours enfermée chez Vogel alors que celui-ci se rend à la police de son plein gré, repentant et résigné. L’adresse de Vogel n’ayant jamais été mentionnée par aucun autre personnage, il est permis de penser que personne n’est au fait du lieu de détention de la malheureuse, et il est assez déconcertant de constater qu’au moment de l’arrestation de Vogel personne ne fait allusion à la disparition de la jeune secrétaire. Il revient alors à notre mémoire qu’EXORCISME s’achevait cinq ans plus tôt avec un plan sur la plus haute fenêtre du manoir Vogel. Plan de clôture gratuit ou suggestion d’un dernier mystère irrésolu ? À la vision du SADIQUE DE NOTRE DAME, le dernier plan de son aîné revêt un caractère prophétique qui achève de nous convaincre qu’il n’y a pas de « version définitive » d’un film de Franco, mais bien mille pièces d’un puzzle en constante expansion et à jamais inachevé.

 

LE SADIQUE DE NOTRE DAME est à nouveau visible dans les meilleures conditions grâce à l’éditeur SEVERIN FILMS qui se fend d’une édition blu-ray exemplaire à tout point de vue.

Severin films et Jess Franco ont toujours fait bon ménage, ce ne sont pas leurs sorties DVD de MACUMBA SEXUAL, MANSION OF THE LIVING DEAD ou SEXUAL STORY OF O qui le démentirons. L’arrivée de la HD semble avoir stimulé leur volonté d’offrir des éditions « définitives » aux films de l’espagnol fou, et THE HOT NIGHTS OF LINDA avait ouvert le bal avec succès en 2013, mais c’est l’année 2018 qui se pose comme l’année francienne puisque l’éditeur nous a gratifié de trois sorties inespérées, remettant en lumières une période trop peu explorée de la filmographie de Jess Franco, il s’agit de SINFONIA EROTICA, TWO FEMALE SPIES WITH FLOWERED PANTIES et celui qui nous intéresse ici, THE SADIST OF NOTRE DAME aka LE SADIQUE DE NOTRE DAME.

Le film a fait l’objet d’un effort de restauration louable qui s’abstient de tout révisionnisme et évite de réduire le grain d’une image qui conserve son caractère d’époque et on ne peut que remercier l’éditeur de ne pas céder aux sirènes du « lissage » à outrance. On aura aussi la bonne surprise de retrouver le film dans sa version française, largement préférable au doublage anglais lui aussi proposé. Si le film demeure le principal intérêt, la section des suppléments est un argument d’achat des plus convaincants.

Autour du film lui-même, on aura le plaisir d’un entretien avec Stephen Thrower qui disserte de manière érudite sur les différences entre EXORCISME ET MESSES NOIRES et LE SADIQUE DE NOTRE DAME et sur la place de ce film dans la filmographie de Jess Franco. L’auteur de MURDEROUS PASSIONS : THE DELIRIOUS CINEMA OF JESUS FRANCO s’avère aussi passionnant à écouter qu’à lire et son approche encyclopédique, son analyse intuitive et interprétative peut tout aussi bien donner de nouvelles pistes de réflexions à l’aficionado de Franco que rendre accessible son œuvre foisonnante au novice. Malheureusement, en l’absence de sous-titre français, ce supplément ne pourra ravir complètement que l’anglophone confirmé. Il en va de même pour le bref commentaire audio de Robert Monell (webmaster du blog « I’m In A Jess Franco State Of Mind », référence en matière de francomania) qui se révèle un peu plus dispensable mais propose tout de même quelques infos intéressantes, notamment sur le casting.

Il y a tout de même de quoi satisfaire le spectateur non-anglophone, puisque c’est Alain Petit, auteur du monumental JESS FRANCO OU LES PROSPÉRITÉS DU BIS, qui revient sur la genèse du SADIQUE DE NOTRE DAME et sur les méthodes de productions d’Eurociné à l’époque ou Franco réalisait des films pour le compte de la compagnie de Marius Lesoeur, dans un entretien peut-être un tantinet court en regard de la somme d’informations à digérer. Le dernier supplément, mais non des moindres, vient sous la forme d’un documentaire consacré au Brady, cinéma de quartier parisien, célébré par Jacques Thorens dans son ouvrage LE BRADY, CINÉMA DES DAMNÉS paru en 2015. L’auteur du livre y revient sur l’histoire de la salle devenue mythique, sa programmation pour le moins hétéroclite et sa clientèle parfois inquiétante. Si ce bonus n’entretient pas de rapport direct avec LE SADIQUE DE NOTRE DAME, il offre une précieuse lucarne vers ce à quoi devait ressembler le circuit de distribution des films de Jess Franco dans les années 70 et permet d’achever cette redécouverte d’une œuvre méconnue du cinéaste par un petit voyage temporel bienvenu.

Gabriel Carton

LE VENIN DE LA PEUR : LA MORSURE DU RÊVE

 

« Le rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer sans frémir ces portes d’ivoires ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l’image de la mort ; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l’instant précis où le moi, sous une autre forme, continue l’œuvre de l’existence. »
                                                                                                                                                                                                                                                                                     Gérard de Nerval

 

Si la réalité, dans Le Venin de la Peur, est distordue dans tous les sens par un Fulci s’ingéniant à brouiller constamment les pistes, peuplant son récit de personnages qui croient avoir vu alors que les apparences, plus que jamais, s’avèrent trompeuses, c’est parce qu’elle est dominée par un autre élément qui s’insinue en elle telle de l’encre se diluant dans l’eau : le rêve.

Dans un ballet désynchronisé qui voit tantôt le rêve, tantôt la réalité mener la danse, l’un finit toujours par s’acoquiner avec l’autre – fragments de réalité dans le rêve, et inversement – dans une fusion troublante qui permet au film de conserver son attrait au-delà de la première vision, pourtant impossible à expérimenter à nouveau en raison de la révélation finale du coupable. Au revisionnage, la trame policière paraît d’abord ennuyeuse, avant que l’imbrication du rêve et de la réalité, vrai sujet et véritable parti pris de mise en scène de Fulci, ne se déploie dans tout son éclat.

 

Dans sa mémorable ouverture, Le Venin de la Peur met en images un rêve. Fulci excelle ici à mettre en scène ce qui ne pourra jamais être enregistré, représenté, puisqu’uniquement niché dans notre cerveau, mais qu’il parvient pourtant à rendre fidèle aux impressions propres aux songes. Carole, l’air affolé, remonte une rame de train, tente en vain d’ouvrir plusieurs compartiments, se faufile entre les passagers subitement apparus dans le corridor. Est-elle poursuivie ? Cherche-t-elle quelqu’un ? Nous l’ignorons, comme propulsés dans un rêve en ayant l’impression d’avoir manqué le début de la séance. Sans préambule, sans raison, la situation s’impose et nous la vivons. En quelques plans, Fulci parvient à nous placer dans la position du rêveur. Puis c’est cette fugace transition, rendue possible par la souplesse du montage, d’un changement de décor en un clin d’œil. Carole continue à avancer, mais le train a été remplacé par un long corridor blanc, et les passagers, désormais dévêtus, s’enlacent, s’embrassent, figures grotesquement enfarinées barrant la route de Carole qui tente de se frayer un chemin jusqu’à nous. Image tremblante, défaillance de la mise au point, multiplication des plans et usage du ralenti : le temps se dilate et la traversée est interminable. Motif onirique s’il en est, la chute succède aux obstacles.

 

Deux mains se découpent sur un fond noir, puis Carole tombe, toujours au ralenti, dans son manteau de fourrure dans lequel semblent être incrustés les yeux d’une chouette, premier motif animalier d’un film qui en comportera plusieurs autres. Sur un grand lit drapé de satin rouge et recouvert de coussins chatoyants (le reste du décor demeurant totalement noir, comme si nous étions à l’intérieur d’une boîte), une femme blonde dont le rire inonde la pièce, semble l’attendre. Contraste des couleurs de cheveux, des expressions, l’une enveloppée d’un long manteau, l’autre quasiment nue : Carole rencontre l’altérité, qui s’applique également, comme nous l’apprendrons juste après, à leurs modes de vie (la bourgeoise, fille et épouse d’avocat d’un côté, la délurée entourée de hippies organisant des orgies dans l’appartement voisin, transformé en lupanar et en paradis artificiel de l’autre). Le découpage heurté, voire illogique (Julia allongée, puis assise la seconde d’après, ou Carole reculant au-delà du lit, puis au centre dans le plan suivant) s’imprimera également par la suite dans la réalité (brusques cuts d’une scène à une autre), favorisant la perte de repères et la création de ce fameux entre-deux, comme un état de rêve lucide qui tournera maintes fois au cauchemar.

 

La blonde altière rejoint la brune troublée, fait glisser son trop lourd manteau à ses pieds puis la fait s’allonger si délicatement que l’on pense à la « tendresse souple » avec laquelle la Lune baudelairienne s’étend sur celle qu’elle a choisi d’envoûter. Julia disparaît du cadre, Carole se pâme. Une succession de plans de son visage ceint tantôt du manteau de fourrure, tantôt de draps blancs, ainsi que la transition entre la langoureuse partition d’Ennio Morricone et le brouhaha que l’on associera plus tard aux soirées organisées par Julia, préparent le réveil et le retour à la réalité : tout ceci était un rêve. En fait de satin et de baisers féminins, Carole est seule dans son lit. Un lit à baldaquin où l’on ne verra jamais son mari.

 

Allongée sur le divan du psy, Carole, un microphone posé sur la poitrine, raconte ses rêves teintés de stupre pourpre, enregistrés sur des bandes magnétiques que le secret professionnel désavouera. Pour l’expert de l’esprit, cela ne fait aucun doute : Julia Durer incarne un attrait pour le vice que Carole se refuse à admettre. À l’image du rêve et de la réalité, l’univers de Carole et celui de Julia, l’appartement bourgeois et le squatt sous acide s’interpénètrent constamment, tant au niveau de l’image (montage alterné du repas familial et de l’orgie, puis split-screen s’effaçant au son de la voix du père de Carole) que de l’environnement sonore.

 

Carole rêve à nouveau du train bondé, mais cette fois, les passagers sont nus. Puis le cauchemar s’insinue : visages peinturlurés et déformés des membres de sa famille, sa belle-fille tenant ses entrailles entre ses doigts, et l’oie du tableau surplombant son lit la pourchassant. Les cuissardes et les caresses de Julia seront impuissantes à faire rebasculer Carole du côté du rêve : elle se saisit d’un coupe-papier et poignarde la lubrique voisine. Le filet de sang s’échappant de la lame ressemble à s’y méprendre (dans son épaisseur, sa couleur) à la peinture rouge dans laquelle une jeune hippie trempera un couteau qu’elle lancera sur une toile blanche. De l’assassinat considéré comme un des Beaux-arts, ou l’inverse ? Peindre avec du sang, le meurtre (à l’écran) comme acte artistique : prenons cette association de motifs comme un petit médaillon de l’art de Fulci et de ses pairs.

 

La suite de l’intrigue illustre de manière littérale le principe nervalien de « l’épanchement du songe dans la vie réelle ». Frontières poreuses désormais traversées non plus seulement par l’image et le son, mais par la diégèse. Juste après le récit sur divan de ce cauchemar meurtrier, nous apprenons que Julia Durer a été assassinée, exactement de la même manière que dans le rêve de Carole, dont le manteau, le foulard et le coupe-papier ont été retrouvés sur les lieux du crime. Les rêves peuvent-ils se matérialiser ? Ou bien vivons-nous certains événements dans un tel état de transe qu’ils semblent eux-mêmes trop oniriques pour être vrais ? Une question qui trouvera réponse, mais Fulci nous laisse flotter suffisamment longtemps dans cet entre-deux pour que nous savourions, tant que dure le mystère, ce troublant épanchement.

 

Audrey Jeamart


 

Le Venin d’Ennio Morricone

 

La superbe édition du VENIN DE LA PEUR de Lucio Fulci délivrée par Le Chat qui fume nous permet de redécouvrir une partition déconcertante du Maestro Morricone, score schizophrène s’il en est qui tend un parfait miroir aux images qu’il accompagne.

 

La Lucertola, le thème principal, déroule langoureusement ses ondulations érotiques si chères au giallo (voire le thème principal de LA TARANTULE AU VENTRE NOIR, dû lui aussi à Morricone, rendu encore plus explicite par des gémissements extatiques). Le chant d’une voix anonyme et légère a quelque chose d’inoffensif, sans pour autant rendre l’atmosphère confortable. Le thème se développe en effet en une boucle imparfaite, une géométrie onirique, inquiétante. C’est le lézard du titre qui se dessine en musique alors que l’on s’attendait à ce que ces accords ronds et vaporeux nous racontent des courbes féminines. Et la vapeur n’en finit plus de monter à mesure que la bride se resserre sur le cou d’une mélodie qui fait vibrer les cordes de la frustration que l’on ressent en même temps que l’héroïne. Ce ne sont pas les passages estampillés « LSD » qui libèreront les notes de ce trip amer plutôt qu’acide, vide de toute émotion sinon feinte. Onirique, dionysiaque dans ses plus grandes heures, Morricone assurément sait ouvrir les canaux de son expressivité la plus débridée… alors pourquoi diable ne le fait-il pas ? La régularité apollinienne, le faux-semblant – qui répond parfaitement au jeu que joue Carol, un jeu bien étudié, savamment répété – finit par nous faire regretter que ce lézard n’aie pas eu neuf queues ou un plumage de cristal. Tout au plus arbore-t-il le velours gris dont s’est vêtu l’agneau pour prétendre être un loup.

Gabriel Carton

 

THE INCREDIBLE MELTING MAN

« L’incroyable homme qui fond » ne s’avère pas un titre plus adéquat que « La goule venue de l’espace », titre d’origine volontairement décalé voulu par son réalisateur, William Sachs, mais il a le mérite d’annoncer la couleur et d’inscrire l’opus dans la veine organique qui le caractérise. « L’incroyable homme qui suinte » serait plus exact, tant Steve, le personnage principal du film, n’en finit plus de dégouliner et de laisser derrière lui un fluide visqueux, marque de son passage autant que signe dramatique de sa dégénérescence. Ce titre n’aurait sans doute pas été très vendeur, et l’on sait l’empreinte que laissèrent les producteurs sur ce film de 1977. William Sachs avait en effet en tête une comédie, dans un esprit « comic book » mêlant kitsch et horreur, tandis que les producteurs voulaient un film purement d’horreur. Cette divergence de points de vue se ressent nettement à certains moments, et dessert finalement en partie le film. Durant la majeure partie du métrage, les tons varient maladroitement (au lieu de cohabiter de manière fluide comme c’est par exemple le cas dans Dark Star (1974) de Carpenter, qui mêlait sciemment les deux registres), ce que soulignent également les ambiances musicales, l’une légère, l’autre beaucoup plus mélodramatique. C’est d’autant plus dommage lorsque l’on constate, lors de la dernière partie, que c’est bien l’aspect dramatique qui rend The incredible melting man intéressant. Ou du bon côté de voir une création échapper à son créateur, qui n’en demeure pas moins l’artisan.

Le personnage de Steve, cet astronaute revenu radioactif d’une expédition sur Saturne, interprété avec, oui, conviction, par Alex Rebar, convoque plusieurs prédécesseurs cinématographiques qui tous incarnent la solitude et le rejet. On pense au héros du Monstre de Val Guest, lui aussi seul survivant d’un trio spatial, condamné à voir sa nature et son apparences humaines changer progressivement jusqu’à ne plus rien avoir d’un homme. On songe aussi et surtout à la créature de Frankenstein, citée par une petite fille épouvantée par la vision de cette silhouette en lambeaux et à l’attitude menaçante. L’errance d’un personnage difforme et traqué constitue ici aussi le cœur du film. À la différence près – et c’est d’ailleurs ce qui apporte au film de Sachs et au personnage leur singularité – que Steve est recherché par ses amis. Cet élément est quasiment martelé, peut-être un peu lourdement, mais c’est ce qui va concentrer des affects plus personnels que par exemple uniquement politiques. Le scénario demeure assez flou quant à l’enjeu de la quête du duo formé par Ted et le général Perry, les amis de Steve.

Il est question d’une échéance (le lendemain matin, mais sans que l’on sache avant la fin du film ce qu’il est censé se passer le lendemain). Le retrouver semble d’ailleurs plus important que la protection de leur concitoyens, soumis à la menace d’un être mi-homme mi-animal ayant déjà fait plusieurs victimes sur son passage. Steve sème la mort, tel un prédateur, mais jusqu’au bout sa part humaine demeure : son prénom est fréquemment prononcé, les dévorations demeurent hors champ, et il titube constamment entre la figure du zombie, inexorable marcheur tueur en décomposition, et l’homme conscient qu’il est encore en partie et que ses proches espèrent sans doute qu’il redevienne. Au détour d’une réaction, d’un geste, l’être humain est toujours là, tel un cousin visqueux du héros de Dead of Night (1974) de Bob Clark. Le Vietnam, la conquête spatiale : même combat. Si les années 50 furent les plus prolifiques en termes de dénonciation / hantise du nucléaire, par le biais ou non de la métaphore, on sait qu’il en resta longtemps des traces dans l’inconscient collectif américain. The incredible melting man en est un exemple, avec son héros / victime recherché(e) au compteur Geiger.

Héritier d’une veine plus ancienne, le film de Sachs y ajoute, seventies oblige, une dimension organico-gore parfaitement en phase avec son époque. Après le Devil’s Rain (1975) de Robert Fuest et ses visages tordus se liquéfiant, et avant le Street Trash (1987) de Jim Muro et ses fluides colorés, The incredible melting man constitue une pierre de choix dans l’édifice de l’horreur organique. Derrière ces effets dégoulinants et vraiment réussis (d’autant plus si l’on considère le maigre budget alloué au projet), on retrouve Rick Baker à ses quasi débuts, secondé par Rob Bottin, qui excellera ensuite dans The Thing notamment, ou encore Greg Cannom. Si les premières minutes du film nous montrent déjà un Steve transformé, défiguré – mais à la limite reconnaissable – la majeure partie du film verra évoluer une silhouette au visage enduit de rouge et de beige mêlés, que des mains idoine ne cessent de tenter d’essuyer, le grain de la peau à jamais perdu sous une épaisse couche visqueuse ne laissant distinguer, comme des vestiges d’une figure humaine, que deux rangées de dents et un œil dont la perte finale signera la mort, définitive, de ce corps, l’ultime étape consistant dans la perte de la forme et de la stature humaines dans la fonte totale juste à côté, ironie cruelle, d’une poubelle. La conclusion à consonance politique du film achève, s’il en était encore besoin, de le rendre particulièrement amer et de le ranger définitivement du côté du drame mélancolique. The incredible melting man n’est certes pas le comic book sur écran que souhaitait au départ William Sachs, mais il y a gagné en intensité et en émotion, son héros rejoignant par là même les rangs des monstres esseulés au destin non pas anodin mais réellement tragique.

 

Audrey Jeamart

 

MYSTERY & IMAGINATION : THE FALL OF THE HOUSE OF USHER

Lorsque Madeleine Usher se rend auprès de son ami Richard Beckett pour l’entretenir d’une angoisse qu’elle ne peut expliquer, ce dernier la prend très au sérieux. Il se rend plus tard au manoir Usher et demeure incrédule face à Roderick, qu’il trouve vieilli prématurément. Devant ce personnage froid et cruel qui ne ressemble en rien à l’ami qu’il a connu, Richard se met en devoir d’enlever Madeline pour la protéger de la folie de son frère. Hélas, le mal qui grandit en Madeleine n’est pas moindre : comme son frère elle est atteinte du mal inhérent aux Usher.

Il s’agit du troisième épisode de la série britannique MYSTERY & IMAGINATION, diffusée à la télévision de 1966 à 1970. Devenue une sorte de petit monument du genre, elle a vu la plus grosse partie de ses épisodes disparaître, sans doute effacés des bandes en raison d’une capacité de stockage limitée, une pratique commune à la fin des années 60. Seuls huit épisodes ont été conservés intacts et ont fait l’objet d’une édition DVD plus que nécessaire, qui permet, grâce à un coffret de 4 disques, de découvrir cette merveille du petit écran.

Edgar Poe pourrait aujourd’hui s’enorgueillir d’avoir délivré une histoire qui a tant inspiré le cinéma. Si l’on compte de nombreuses adaptations pour le grand écran, il ne faudrait pas oublier les adaptations télévisuelles qui ont fleuri au sein des anthologies (on pourra citer celle d’Alexandre Astruc, avec Pierre Clémenti, Fanny Ardant et Mathieu Carrière, pour la série française « Histoires extraordinaires », ou celle de James L. Conway avec Marton Landau et Charlene Tilton pour les « Classics Illustrated »).

L’entrée en matière est longue pour cette énième adaptation du classique de Poe, et quelques détours viendront chatouiller le puriste. Comme dans nombre de versions, le trio instauré dans la nouvelle (narrateur-Roderick-Madeleine) est ici trahi par la présence d’un homme à tout faire (comme dans la version de Corman) et de Lucy, la fiancée de Richard. Le scénariste David Campton a su pourtant conserver l’esprit de Poe tout en extrapolant le passif des personnages. Ici c’est Madeline qui vient chercher Beckett, alors que chez Poe il vient à la demande de Roderick. Un point intéressant veut aussi que Beckett soit fiancé à Lucy, mais que la fragilité apparente de Madeline l’ait séduit. Lucy (personnage totalement absent chez Poe) passe elle-même quelque temps au manoir Usher, avant de fuir, victime de la folie perverse et infantilisante de Madeline.

 

Etant donné le format (50 minutes) et le budget, on ne pourra que s’étonner du caractère ambitieux de ce téléfilm. Si les potentialités du noir et blanc ne sont guère utilisées (il s’agit là d’une contingence matérielle inhérente à la production télévisuelle, et non d’un choix artistique), la photographie sert à merveille des décors impressionnants et la fascination architecturale que met en avant le gothique opère totalement ici malgré un champ visuel et des mouvements de caméra restreints.

Le casting est une excellente surprise. Si David Buck incarne un Richard Beckett rationnel et auquel il est facile de s’identifier alors que l’on découvre comme lui la façon dont vivent les Usher, Denholm Elliott (Roderick) et Susannah York (Madeleine) sont magistraux ! Elliott est un habitué de ces anthologies et le portrait qu’il rend de Roderick Usher est éloigné et pourtant comparable à l’interprétation de Vincent Price pour le film de Roger Corman. Physiquement Elliott n’entretient aucune ressemblance avec Price, mais son Usher a tout de la même grandiloquence baroque. Quant à Susannah York, l’héroïne du téléfilm JANE EYRE  avec George. C. Scott, elle incarne une Madeline tout à fait inédite. Alors que l’on connait déjà son frère, froid et agaçant, souffreteux et misanthrope, on serait enclin à plaindre la jeune femme. Pourtant Madeline se révèle aussi perturbée que son frère, ce que nous apprenons alors qu’elle agresse la pauvre Lucy en hurlant qu’elle épousera Richard. Si la maladie de Roderick pourrait passer pour un genre qu’il se donne, celle de Madeline est indéniable.

Roderick et Madeline sont un fardeau l’un pour l’autre, et ce à cause de l’héritage d’une lignée dont le mal nous reste inconnu. Et cette adaptation a très bien su dégager un aspect novateur, tout en restant fidèle au modèle. À l’aspect quelque peu austère et théâtral de la production s’oppose un travail d’écriture remarquable qui rend cette version, comme chaque épisode de la série « Mystery & Imagination », délectable pour l’amoureux des classiques de la littérature fantastique.

Gabriel Carton

MYSTERY & IMAGINATION : DRACULA

Sous la houlette de Thames production, la série MYSTERY & IMAGINATION,  diffusée à la télévision de 1966 à 1970, délivre pour le petit écran ses adaptation des grands classiques de la littérature fantastique à un rythme soutenu. Bien évidemment arrive le tour de Dracula, en 1968, alors que le personnage connaît un essor sans précédent sur le grand écran avec les films de la Hammer. Bien consciente de ne pouvoir déployer les mêmes flamboyances gothiques, l’équipe du film opte pour une approche tout à fait différente qu’accentue un noir et blanc qui sied particulièrement à l’atmosphère glaciale de cette adaptation plutôt déconcertante.

 

L’objet de la première remarque est bien sûr le scénario, qui en 80 minutes, remanie de façon conséquente le matériau de base. Si d’autres épisodes comme THE FALL OF THE HOUSE OF USHER ou FRANKENSTEIN, brodaient considérablement autour d’une courte nouvelle pour le premier ou donnaient un tout autre sens au roman d’origine pour le second, ce DRACULA élague considérablement le long roman de Stoker. Lorsque le film commence, nous nous trouvons dans une cellule de l’asile du Dr Seward. Un dément à la crinière blanche qui pourrait être Renfield s’en évade et se rue dans le salon ou Lucy Weston et sa mère écoutent la sonate au clair de lune, l’interprète de ce premier mouvement mélancolique à souhait nous est caché. Lorsque le dément est maîtrisé et ramené dans sa cellule, l’homme au piano se lève : c’est le comte Dracula. Nous voila directement parachuté en centre de l’intrigue qui délaisse le préambule transylvanien. On apprendra par la suite que le patient de Seward est en fait Jonathan Harker (Corin Redgrave), retrouvé délirant à bord du Demeter qui amenait le comte à Londres, une explication qui n’est pas sans rappeler la découverte de Renfield au fond de la cale du navire dans le Dracula de Tod Browning (1931).

 

Tout se déroule ici dans un lieu unique, en de longs plans fixes, réminiscences des planches de théâtre qui ont vu naître la pièce d’Hamilton Dean, de laquelle cette adaptation s’inspire beaucoup, renforcées par le découpage en trois actes distincts. La staticité de la caméra n’empêche pas le réalisateur de mettre en oeuvre de belles idées visuelles qui font aussi office de raccourcis narratifs, comme le récits de la mésaventure d’Harker au château de Dracula, où sa rencontre avec les trois succubes prend une tournure quasi-expressionniste.

 

 

Le téléfilm ne fait pas que bousculer la trame du roman, mais affirme sa volonté de démarcation en nous faisant découvrir le personnage de Dracula lui-même, sous un jour (si l’on peut dire) totalement nouveau. Le choix de l’acteur Denholm Elliott sonne comme un défi aux idées préconçues, très éloigné de l’image que l’on se fait du vampire valaque. Cependant l’acteur, dont on avait déjà pu admirer la performance en Roderick Usher dans le téléfilm de Kim Mills cité plus haut, assure une composition remarquable et arbore un look qui oscille entre une vision « modernisante » (un vampire gentleman, pianiste à ses heures perdues, chaussant ses lunettes à verres fumés qui lui donnent l’air distant et vulnérable d’une rock-star vieillissante) et un autre presque rétrograde (sa longue cape peu pratique avec laquelle il ne cesse de faire des moulinets, ses incisives  qui évoquent fatalement le Nosferatu de Murnau, son accent indéterminable…).

 

 

Elliott est assurément l’élément le plus surprenant du casting, mais celui-ci reste tout à fait intéressant, Susan George et Suzanne Neve font d’excellents Lucy et Mina, la première ne cachant pas sa fascination pour le comte, et la seconde tentant désespérément de faire revenir Jonathan à la raison. On notera qu’Arthur Holmwood et Quincey Morris ont été évincé de l’intrigue pour permettre le développement de personnages de second plans, notamment la mère de Lucy, interprétée par la future Miss Marple, Joan Hickson.

 

 

Le principal intérêt de cette adaptation réside donc dans son approche quelque peu marginale, mais c’est sans compter sur le savoir-faire d’une équipe qui met tout en oeuvre pour délivrer un conte d’épouvante qui en cela conserve l’esprit du roman de Stoker. Parmi toutes les adaptations télévisuelles du roman, le Dracula de Patrick Dromgoole est  à ce jour la plus ancienne visible et à ce titre mérite largement qu’on s’y attarde.

 

Gabriel Carton

 

DRACULA 3D : COMTE A DORMIR DEBOUT

Les années 2000 n’ont pas été tendres avec Dario Argento : Si LE SANG DES INNOCENTS laissait espérer un retour en force du maestro dans le genre qu’il avait popularisé au début des années 70, le polar dépressif THE CARD PLAYER, le méta-giallo VOUS AIMEZ HITCHCOCK ?, et surtout le dernier volet de la trilogie des trois mères, MOTHER OF TEARS ainsi que le thriller mal nommé GIALLO, ont divisé les fans et consacré Argento « has been ». Ces deux derniers essais relevaient pourtant d’une volonté de retour aux fondamentaux, mais force est de constater que déléguer aux  scénaristes Jace Anderson et Adam Gierasch la prolongation de son œuvre ésotérique était une très mauvaise idée (rappelons qu’ils sont derrière l’immonde MORTUARY de Tobe Hooper), et que mettre en scène leur vision erronée avec autant d’aplomb laissait planer le doute quant à la lucidité du réalisateur. GIALLO au contraire ne souffre pas tant de tares scénaristiques et visuelles, qui sont bien moins frappantes que celles de LA TERZA MADRE, que de son titre qui laisse espérer une synthèse du giallo alors que le film n’est qu’un thriller classique. Moins ambitieux mais mal appréhendé, GIALLO ressemble à l’œuvre d’un cinéaste débutant, encombré par un casting trop lourd (Emmanuelle Seigner, Adrien Brody…), peu concerné par l’histoire qu’il raconte, mais tentant du mieux qu’il peut de travailler une esthétique, une mise en scène et une atmosphère.

 

Dans cette mécanique du retour aux sources, Argento s’attaque à l’une des figures les plus emblématiques du cinéma fantastique : Dracula. S’il caressait depuis longtemps l’idée de réaliser un film de vampire, ce n’est qu’en 2010 qu’il s’attèle à la tâche, entamant un travail d’adaptation très personnelle du roman de Bram Stoker, ce qui laisse craindre le pire pour ceux qui n’ont pas encore avalé un FANTÔME DE L’OPERA qui ne trahissait pourtant pas tant que ça le roman de Leroux. Mais DRACULA ne se veut pas tant une adaptation du roman de Stoker, selon les dires du réalisateur, qu’une révision nostalgique de l’histoire du vampire au cinéma. Encore faut-il que la vision qu’a Argento des films Universal ou Hammer soit la même que la nôtre… Visiblement ce n’est pas le cas.

 

Le DRACULA de Dario Argento évoque plus facilement celui de Jess Franco que celui de Terence Fisher, même si les écarts par rapport au roman sont pour la plupart empruntés à de nombreuses adaptations passées. Ainsi Jonathan Harker se rend au château de Dracula en tant que bibliothécaire comme dans LE CAUCHEMAR DE DRACULA (1958), il y rencontre une jeune femme énigmatique qui se nomme Tania comme dans LES CICATRICES DE DRACULA (1970), et sa fiancée Mina est la réincarnation du grand amour perdu de Dracula, comme dans le DRACULA de Dan Curtis (1973) et celui de Francis Ford Coppola (1992). Argento propose d’ailleurs une hypothèse nouvelle en nommant l’épouse défunte Dolingen De Gratz en référence à l’inscription du tombeau de L’INVITÉ DE DRACULA. Au-delà de ces similitudes, le reste du métrage acquiert une certaine identité, peut-être par son dépouillement, ou sa construction narrative hoqueteuse qui aurait été plus à sa place dans une version « livre dont vous êtes le héros » du roman de Stoker.

 

Le travail de Luciano Tovoli sur la photographie témoigne d’une réelle volonté, les tons crépusculaires et nocturnes sont riches et évoquent ceux d’un tableau symboliste. Le rendu de la profondeur est, par contre, pour le moins discutable, et lorsqu’on parle de 3D, c’est encore plus problématique : les personnages ne semblent pas tant évoluer dans les décors qu’à travers les décors. Si au niveau des couleurs, l’idée était sans doute de retrouver l’éclat quasi-surnaturel du technicolor d’antan, que la texture devait se rapprocher du grain presqu’imperceptible d’une peinture, le plus souvent néo-classique, parfois réaliste, parfois luministe voire impressionniste (replacer Dracula dans le contexte des évolutions picturales du XIXème siècle était louable), la palette agressive évoque plutôt l’expérimentation désastreuse de Sauvaire et Thibault sur VIDOCQ que la subtile étrangeté de L’ANGLAISE ET LE DUC.

 

Difficile, malgré cet aspect expérimental, de reconnaître Argento dans cette émanation vampirique bisseuse tout droit sortie des années 70. DRACULA n’est pas la perle gothique qu’on pouvait attendre d’un Argento désireux de revenir aux bases du cinéma fantastique, mais a tout du film en retard sur son temps. Ce retard, le réalisateur pensait peut-être le rattraper grâce à la 3D, et échoue non seulement sur le plan de l’immersion, mais souligne via le procédé des effets spéciaux à base d’images de synthèse inachevées, dont beaucoup relèvent de la faute de goût (une araignée en CGI ? En filmer une vraie n’aurait-il pas été plus facile ?). La palme revient à une mante religieuse géante d’un vert criard, incrustée sans ménagement.

 

Cette entêtement à expérimenter toutes les techniques possibles vient gâcher le plaisir qu’on a à admirer le panache d’une mise en scène qui est bien celle d’un Argento soucieux d’adapter le récit vampirique aux canons de son cinéma. Autre constat malheureux, un casting totalement à côté de la plaque, qui parvient au moins à être homogène dans sa médiocrité, d’une Lucy qui refoule ses penchants homosexuels au grand dam du public sous le charme ambigu de la demoiselle (et de son jeu tout en retenue, la Lucy en question étant bien entendu Asia Argento) à un Dracula sans envergue (Thomas Kretschman) dont le jeu fade et mal assuré ne fait pas honneur au prince de la nuit. Le seul à tirer son épingle du jeu est le toujours fringant Rutger Hauer dont le Van Helsing n’apparaît qu’après une bonne moitié du film. Tel le docteur Loomis dans HALLOWEEN 6 (1996, la comparaison n’est pas des plus flatteuses), le spécialiste des vampires surprend Mina dans sa propre maison, pour lui dire qu’il peut l’aider. Oui l’aider, parce qu’à ce stade Lucy est morte, Jonathan n’est pas rentré, les loups hurlent et les villageois accrochent de l’ail partout, bref elle a bien des raisons de faire une dépression. En fin psychologue, Van Helsing  l’emmène cramer Lucy, sa meilleure amie devenue vampire, quoi de mieux, en effet, pour voir à nouveau la vie en rose ?

 

Le reste de la trame embraye sur le schéma classique, et inexplicablement DRACULA exerce sa fascination sur le spectateur abasourdi comme son personnage central sur Mina. Force est de constater que dans sa naïveté, le film touche et parle au cœur de l’amateur de cinéma bis qui n’en peut plus des révisions aseptisées à base de triolisme asexué (Twilight). Dans sa plastique éreintée plus haut, il parvient, en de rares occasions, à charmer, les intérieurs étant bien souvent réduits à des murs de pierre décorés d’ail et de crucifix, et les extérieurs, mis à part un village filmé à la Herzog, se résument à une forêt dont l’obscurité en dehors du sentier relève d’une totale opacité. Cette Transylvanie selon Argento n’est pas sans évoquer les Alpes suisses de PHENOMENA que peuplaient déjà les essaims de mouches qui sont ici l’une des nombreuses formes que peut prendre Dracula. Dans sa simplicité et dans le resserrement de son intrigue à un lieu unique, la Transylvanie, avec ses territoires bien délimités  (le village, le château et la forêt qui les sépare) et son développement des seuls personnages véritablement nécessaires à l’intrigue (Jonathan, Mina, Lucy, Dracula, Van Helsing), DRACULA tient presque du schéma  de conte de fée.

 

Alors que le film s’est achevé sans véritable surprise, on en vient à se réjouir qu’ait pu voir le jour, en 2013, un film tel que celui-ci : au récit calqué sur les plus vieux codes du genre, mais au service duquel sont mises toutes les techniques modernes (pour le meilleur et pour le pire, mais surtout pour le n’importe quoi). Le résultat, bâtard, divise une fois de plus. Triste constat : voilà bien longtemps que la popularité d’Argento ne résulte plus de la qualité de ses films, mais de la polémique qu’ils déchaînent, transformant ses plus ardents défenseurs en féroces détracteurs.

Gabriel Carton

EL RETORNO DEL HOMBRE LOBO

EL RETORNO DEL HOMBRE LOBO est le premier film de la saga Waldemar produit (via sa compagnie Dalmata Films) et réalisé par Paul Naschy lui-même en 1980. Il va de soi que Naschy est toujours derrière le scénario et qu’il s’octroie le rôle principal, à savoir celui de Waldemar Daninsky, le lycanthrope au noble cœur.

 

Après cinq ans d’absence, Waldemar ne revient pas dans ce que l’on pourrait vraiment appeler un récit original. Il s’avère en effet que Paul Naschy a voulu offrir à l’un de ses opus préférés, à savoir LA FURIE DES VAMPIRES (LA NOCHE DE WALPURGIS), une révision en grandes pompes, mais plus encore, que son but était d’offrir la synthèse définitive de la saga. S’ouvrant, au XVIème siècle, sur le procès d’Erzsébet Bathory pour sorcellerie et vampirisme et de son serviteur (malgré lui ?) Waldemar Daninsky pour allégeance au mal et lycanthropie, le film opère un saut dans le temps vers le présent où un groupe d’étudiantes mène des recherches pour trouver la tombe de l’infâme comtesse. L’une d’entre elles n’a pas que les travaux universitaires en tête. Fervente adoratrice de la Bathory elle entend profiter de l’occasion pour ressusciter la bougresse et obtenir l’immortalité pour ses bons et loyaux services.

 

Dans le même temps, un groupe de pilleurs de tombe découvre la sépulture de Waldemar. Comme le veut la tradition initiée dès LA MARCA DEL HOMBRE LOBO, Waldemar a été inhumé avec une croix d’argent plantée dans le cœur et l’objet attire bien évidemment la convoitise des pillards qui vont s’en emparer à leurs dépens. Ramené à la vie après un sommeil de quatre siècles, Daninsky retrouve son domaine et fait la connaissance des jeunes femmes venues mener leurs recherches sur Erzsébet Bathory (il est selon les circonstances habituelles le preux chevalier qui les sauve d’une embûche). Et invariablement, l’une d’elles va s’énamourer du barbu et sera la seule à pouvoir le délivrer du fardeau de sa malédiction. C’est sans compter sur la résurrection de la Bathory et sa volonté, non seulement d’étendre son empire sur le monde en créant une armée de femmes vampires mais de récupérer Waldemar à son service. Il apparaît en effet que Waldemar avait accueilli son exécution avec joie, celle-ci le délivrant enfin de l’emprise diabolique de sa maîtresse.

 

NIGHT OF THE WEREWOLF est une histoire de rédemption et de sacrifice. Plus que jamais, le personnage de Waldemar Daninsky inspire la pitié et s’avère le héros dont le sacrifice recouvre de multiples implications. Bathory, la figure féminine manipulatrice, devient le principal antagoniste et ce n’est plus vraiment à un simple « monster mash » que nous assistons mais à une véritable tragédie, au conflit éternel entre le bien et le mal, au dur chemin d’un homme maudit et dépossédé de son être vers le recouvrement de sa liberté, vers l’opposition à un pouvoir qui le dépasse et vers la paix d’un dernier sommeil que le mal lui refuse. Constamment, Naschy oppose l’hubris de la cruelle comtesse, attachée à une immortalité que seul lui garantit le sang des vierges et qui donc sacrifie sans états d’âme les innocents pour son propre profit, et l’humilité du chevalier Daninsky qui donne sa vie, une première fois lors de son exécution, se pensant délivré, puis une seconde fois, après avoir accompli son devoir.

 

Ce qui n’était qu’esquissé dans LA NOCHE DE WALPURGIS est ici pleinement développé et l’écoulement du passé dans le présent, comme par une brèche dans le temps, est beaucoup plus palpable qu’il ne l’était dans ce précédent film ou dans EL RETORNO DE WALPURGIS avec lequel NIGHT OF THE WEREWOLF partage aussi de nombreux points communs. Visuellement, les ambitions de Naschy sont pour une fois parfaitement servies et c’est en grande partie à cela que le film doit son extraordinaire réussite. Une production revue à la hausse nous permet d’apprécier des décors beaucoup plus riches et beaucoup plus crédibles magnifiés par la photographie chaleureuse d’Alejandro Ulloa qui a déjà prouvé qu’il n’était pas un manche sur LE MANOIR DE LA TERREUR d’Alberto de Martino, MISS MUERTE de Jess Franco, PERVERSION STORY de Lucio Fulci ou encore sur l’excellentissime EL CAMINANTE de Paul Naschy.

 

La séquence d’ouverture où Erzsébet Bathory est condamnée à être emmurée pour l’éternitée et où Waldemar Daninsky se voit mettre le « masque de la honte » renvoie de belle manière à l’introduction du MASQUE DU DÉMON de Mario Bava. La résurrection de la comtesse Bathory dans une douche sanglante est aussi parfaitement exécutée, le carmin du sang contrastant avec le teint diaphane de Julia Saly, et lorsqu’ayant retrouvé ses pouvoirs elle exhume de leurs tombeaux les moines damnés qui l’ont servie quatre siècles plus tôt, c’est encore une fois l’éruption du passé, le jaillissement, au travers des gisants, des squelettes en robe de bure, qui ne sont pas sans rappeler les templiers maudits qui chevauchaient au ralenti chez Amando de Ossorio, dans une apothéose gothique. La liste des moments de bravoure et de poésie d’EL RETORNO DEL HOMBRE LOBO serait trop longue à dresser mais ces quelques exemples à eux seuls surpassent en intensité bon nombre de films entiers dédiés à Waldemar Daninsky et consort.

 

Sorti à un moment ou LE LOUP-GAROU DE LONDRES  de John Landis et HURLEMENTS de Joe Dante allaient révolutionner le genre, NIGHT OF THE WEREWOLF fait figure de produit d’un autre temps. Les maquillages artisanaux, ceux du loup-garou notamment s’inscrivant toujours dans la droite lignée de ceux de Jack Pierce pour Lon Chaney Jr. ont bien quelque chose de désuet, mais ils donnent au film cette impression d’intemporalité, cette identité unique, en même temps qu’il en fait la somme de toute une belle tradition cinématographique qui depuis a la vie dure.

 

Paul Naschy a enfin, avec ce film, réalisé ce qu’il estime être la version définitive de l’histoire de Waldemar Daninsky. Il ne put que regretter à l’époque qu’une distribution trop timide l’empêche de jouir de la popularité qui lui était due. Qui plus est, refusant de laisser partir le mythe qu’il avait créé, il s’ingéniera dans les années à venir à ramener Daninsky au cinéma par tous les moyens. Ayant l’opportunité de travailler avec le japon, il explorera encore la lignée fort décousue des Daninsky et les aventures de l’un de ses membres dans le japon féodal avec LA BESTIA Y LA ESPADA MAGICA (1983).

 

Naschy en profite une fois de plus pour revoir l’échelle de ses ambitions à la hausse et délivre une épopée orientale qui détonne à côté des autres opus. Plus tard, il écrira pour la télévision ce qui aurait dû être la dernière apparition du lycanthrope, LICANTROPO, en 1996. Dans cette version, Waldemar est un romancier de terreur sexagénaire, toujours tourmenté par sa condition. En faisant de Waldemar un écrivain, soit un créateur d’univers, Naschy resserre un peu plus le parallèle entre son personnage fétiche et lui-même, il fait de LICANTROPO un chant du cygne sous le signe de la sagesse et de l’apaisement.

 

L’echec artistique qu’il estime être le film l’empêche encore une fois de quitter Waldemar sur cette note et en 2003, il accepte la proposition de Fred Olen Ray de reprendre le rôle dans TOMB OF THE WEREWOLF/THE UNLIVING, mais ce dernier film, le premier à ne pas être écrit par Naschy, ne fait en aucun cas honneur à la légende qu’il convoque avec opportunisme et ne vaut pas la peine de s’étaler plus longtemps. EL RETORNO EL HOMBRE LOBO/NIGHT OF THE WEREWOLF reste donc bel et bien l’illustration ultime du mythe que Paul Naschy a entretenu avec ferveur tout au long de sa carrière.

Gabriel Carton

LA MALDICIÓN DE LA BESTIA

Parmi les ambitions que caressait Paul Naschy à l’égard de Waldemar Daninsky il en est une qui aura mis du temps à se concrétiser. Envisagée dès 1970, la confrontation entre le loup-garou et le yéti, brièvement évoquée en prologue de LA FURIA DEL HOMBRE LOBO, finit par avoir lieu en 1975 sous la houlette de Miguel Iglesias Bonns, artisan capable de l’industrie cinématographique espagnole mais dont l’œuvre n’a qu’en de très rares occasions traversé les frontières de son pays d’origine.

 

LA MALDICIÓN DE LA BESTIA/DANS LES GRIFFES DU LOUP-GAROU nous présente à nouveau un Waldemar Daninsky anthropologue versé dans la crypto-zoologie et qui voue sa carrière à prouver l’existence du yéti. Lorsqu’un de ses confrères lui montre une moumoute moisie en l’assurant qu’il s’agit d’un scalp du cousin alpiniste de Big Foot, il n’en faut pas plus à Waldemar pour monter une expédition à la recherche du bestiau. Sur place, ne voulant pas risquer la vie de son équipe de figurants (et surtout celle de la belle Sylvia), Waldemar décide de partir seul sur la piste du yéti. Malheureusement pour lui, son col roulé n’était pas suffisant pour affronter le blizzard et c’est en bien piteux état qu’il trouve refuge dans une grotte… occupée par deux brunes sculpturales qui prennent soin de lui.

 

Les deux infirmières de fortune ont cependant un style de vie bien à elles, et malgré une nuit d’amour torride qui vaut à Waldemar un prompt rétablissement, il décide de leur fausser compagnie lorsqu’il découvre qu’elles se gavent de chair humaine au petit-déjeuner. Mais les belles lui ont laissé un désagréable cadeau en souvenir. Non, pas des morpions, mais une morsure et la nuit suivante, Waldemar, errant en chemise dans la neige, est pris d’une crise d’hypertrichose fulgurante et quelques fondus enchaînés plus tard, est devenu El Hombre Lobo ! À la recherche d’une proie, il tombe sur trois bandits de grands chemins qui ont installé leur campement pour la nuit et en quelques gestes experts, les transforme en bouillie.

 

Pendant ce temps le reste l’équipe est à la recherche de Waldemar. Alors que Sylvia s’est éloignée du reste du groupe avec l’un de ses camarades, ce dernier en profite pour s’ouvrir à la jeune femme des sentiments qu’elle lui inspire. Alors qu’elle reste sourde à ses avances, il insiste lourdement, jusqu’à la plaquer contre un tronc d’arbres. C’est alors que l’homme loup arrive à la rescousse et égorge le malotru d’un coup de paluche griffue. Sylvia s’évanouit sous le choc, mais elle a eu, dans son malheur, plus de chance que le reste de l’équipe qui au même moment se faisait enlever tandis que leurs sherpas se faisaient massacrer par une troupe de brigands à la solde d’un certain Sekkar Khan.

 

Lorsqu’au petit matin, Waldemar se réveille à côté de l’inanimée Sylvia, il n’a aucun souvenir des évènements de la nuit passée. Les deux tourtereaux d’infortune finissent par trouver refuge dans un monastère. Sylvia confie à un moine les agissements nocturnes de Waldemar et ce dernier lui apprend qu’il existe dans les montagnes une fleur qui pourrait le soigner. Si Sylvia a le cœur pur et brave, et qu’elle est vierge, elle n’aura qu’à imprégner les pétales de la fleur d’un peu de son propre sang et l’appliquer sur la marque du démon que Waldemar arbore sur son torse (l’éternel pentagramme). Ou alors elle peut aussi le poignarder de toute sa rage grâce à une dague d’argent que le moine lui donne, c’est au choix. Les sbires de Sekkar Khan ne leur laissent pas plus de répit et débarquent pour capturer Waldemar et Sylvia qui se retrouvent prisonniers de l’immense forteresse du chef des bandits.

 

Mais ce n’est pas tant Sekkar Khan qui est à craindre que sa cruelle conseillère, Wandesa (l’incontournable Silvia Solar) qui se trouve aussi être son médecin particulier. Khan souffre en effet d’une maladie de peau contre laquelle Wandesa prescrit des greffes de peau à répétition pratiquées n’importe comment avec des greffons prélevés à vif sur les jeunes filles enlevées. Le taux de testostérone anormalement élevé de Waldemar a frappé Wandesa et si elle réserve à Sylvia le même sort qu’à ses petites camarades, elle nourrit à l’égard du lycanthrope des plans beaucoup plus sournois. Quels plans ? Peut-être envisage-t-elle de le garder prisonnier et de le contempler enchaîné, chemise ouverte pour son plaisir personnel, allez savoir.

 

Mais Waldemar n’est pas d’accord, profitant d’une mutinerie dans les cachots des femmes, au cours de laquelle la dague d’argent de Sylvia trouvera son utilité, il brise ses chaînes et bande ses muscles, tous poils dehors et trace son sanglant chemin à travers la forteresse (et ce sans s’être transformé). Ce n’est qu’une fois après avoir retrouvé Sylvia et la liberté que Waldemar lui dit que leurs chemins doivent se séparer car il commence à faire nuit. Waldemar s’en va hurler à la lune de son côté tandis que Sylvia tombe sur la raison de leur présence au Tibet : le yéti. L’abominablement timide homme des neiges a attendu les cinq dernières minutes pour pointer le bout de son simiesque faciès. Par les hurlements de Sylvia attiré, Waldemar rapplique et règle son compte à la créature, mettant fin à son existence et la prouvant par la même occasion. Sylvia a décidément du bol avec les bêtes à poils : une mandale de yéti a sonné Waldemar sans pour autant le tuer, et son corps a roulé non loin d’un pied de ces fleurs miraculeuses dont le moine lui avait parlé, elle peut donc le soigner sans craindre d’y passer.

 

Il aura fallu à LA MALDICIÓN DE LA BESTIA – aussi connu sous les titres anglophones de NIGHT OF THE HOWLING BEAST et, presque mensonger, THE WEREWOLF AND THE YETI – un degré inouï de circonvolution scénaristique pour retomber sur ses pattes, et encore, de manière très insatisfaisante. Il semble que Naschy ait envisagé ce scénario très tôt dans la saga, le fait qu’il ait été porté inchangé à l’écran met en relief de manière frappante l’évolution de l’écriture de Naschy depuis ses débuts. Après les progrès notés sur LA NOCHE DE WALPURGIS et EL RETORNO DE WALPURGIS, les ficelles de LA MALDICIÓN DE LA BESTIA apparaissent étrangement rétrogrades.

De toutes les idées intéressantes que contient le film – les sorcières subsistant inexplicablement dans une caverne et le fait que la lycanthropie du personnage central résulte de leur rituel païen et cannibalesque, le chef des bandits que l’on suppose être le grand méchant mais dont les actes sont guidés par une éminence grise encore plus terrible (une figure féminine, encore et répondant au nom de Wandesa en plus), la rencontre entre le loup-garou et le yéti et l’idée intéressante que le scientifique cherchant à prouver l’existence d’une créature légendaire en devienne une lui-même – aucune n’est réellement exploitée et tout est simplement balancé là et plié au mieux pour tenir dans les 83 minutes restrictives. Naschy se montrera d’ailleurs déçu du résultat, imputant ses échecs à la réalisation médiocre de Miguel Iglesias Bonns, mais louant cependant la photographie de Tomas Pladevall. On ne peut pas tout reprocher à Iglesias, et il manque indéniablement à LA MALDICIÓN le sens du tragique et de la caractérisation des personnages qui faisaient la réussite du précédent opus.

 

Par la suite, Naschy n’aura plus à se plaindre du travail d’un autre réalisateur que lui-même, puisque dès l’année suivante, il opèrera derrière la caméra pour son chef-d’œuvre, INQUISICIÓN. C’est à ce poste (en plus de celui de scénariste, d’acteur et de producteur) qu’il accouchera d’une nouvelle aventure de Waldemar Daninsky qui rendra enfin justice à sa vision, en 1980.

Gabriel Carton

LE GARÇON AUX CHEVEUX VERTS

Une fourmi de dix-huit mètres
Avec un chapeau sur la tête,
Ça n’existe pas, ça n’existe pas.
Une fourmi traînant un char
Plein de pingouins et de canards,
Ça n’existe pas, ça n’existe pas.
Une fourmi parlant français,
Parlant latin et javanais,
Ça n’existe pas, ça n’existe pas.
Eh ! Pourquoi pas ?

Robert Desnos

 

Un garçon aux cheveux verts ça n’existe pas, ça n’existe pas… Quand on pense à Joseph Losey et à sa carrière, on cite rarement son tout premier long métrage, The Boy with Green Hair, produit par la RKO, et cela est fort regrettable. Même dans la sphère fantastique, le film est peu évoqué, alors qu’il mérite purement et simplement d’être loué. Son argument est simple et tient dans son titre : un jeune garçon dont l’apparence est tout ce qu’il y a de plus normale se retrouve un jour avec les cheveux verts. Nous sommes dans une petite ville américaine, dans cet immédiat après-guerre (le film date de 1948) imprimant encore fortement au quotidien ses stigmates, dont les braises vont se trouver attisées par la peur de l’altérité que Peter, ce petit garçon à la bouille d’ange (interprété par un Dean Stockwell tout jeune et des plus talentueux), va être amené à incarner.

 

Voilà un film faisait jaillir un flot d’émotion d’autant plus bienfaisant qu’il ne naît d’aucun « truc », de nul procédé facile, mais au contraire d’une simplicité presque naïve, d’une pudeur renversante, d’une vérité des sentiments que sa courte durée, son rythme, sa construction et sa mise en scène, servent au plus près. On retrouve là la sécheresse narrative de bon nombre de séries B des années 50, dont l’enchainement des scènes ne s’encombre pas de fioritures, mais conjuguée à une dimension plus mélodramatique secondée par un Technicolor qui allait de soi compte tenu de l’importance de la couleur verte.

En ouverture, c’est un jeune garçon triste et renfermé que nous rencontrons, assis au milieu de ce poste de police dans lequel sa présence paraît moins incongrue, à dire vrai, que son crâne rasé. Il suffira au médecin appelé à la rescousse un peu de psychologie et un lait chocolaté pour inviter Peter à quitter sa réserve afin de lui et nous raconter dans un long flash-back son histoire, au centre de laquelle se trouvent la différence, le rejet, l’intolérance, la bêtise. Le ton las du jeune narrateur s’expliquera par l’aventure qu’il vient juste de traverser, dont il se remet à peine, en même temps qu’il semble induit par le caractère même de Peter, celui d’un enfant dont les émotions ont été contenues depuis trop longtemps, un enfant dont les parents sont partis pendant la guerre et qui attend leur retour, sans jamais se départir d’une sorte de fierté, d’un ton de bravade qui ne nous dupera pas et que l’on verra, à moins d’être aveugle, comme une tentative de faire le fort et de montrer ce visage aux autres en prenant bien soin de cacher ses failles.

 

C’est ainsi qu’une brève série de fondus enchaînés montrant les différentes maisons dans lesquelles Peter a résidé depuis le départ de ses parents pour Londres, serre déjà le cœur, au gré du récit détaché d’un enfant dont aucun oncle, aucune tante, aucun proche n’a pu ou voulu s’occuper, jusqu’à ce qu’un vieil artiste de cirque, serveur le soir et amuseur à tout moment de la journée, ne l’accueille chez lui et lui prodigue chaleur et bienveillance. D’abord méfiant, demandant à ce que Gramp (incarné par Pat O’Brien) lui explique d’emblée ce qu’il n’a pas le droit de toucher ou de faire, Peter se laisse rapidement gagner par la bonhomie et la générosité de Gramp. Jamais vase jeté sur le sol d’une modeste demeure n’avait été aussi émouvant…

L’argument fantastique du film surgit un beau matin, dans la salle de bains, tandis que Peter se regarde dans le miroir. Stupéfaction : ses cheveux sont devenus verts ! Un vert éclatant qu’il impute dans son esprit facétieux à la couleur du savon, vert lui aussi. Persuadé de détenir la solution, il se relave alors les cheveux et relève brusquement la serviette, triomphant. Mais rien n’y fait, ses cheveux sont toujours verts. L’intermède suivant, ludique, plein de candeur, à base de grimaces et de crête sur la tête par un garçon dont le reflet lui semble extraordinaire, sera de courte durée. En plus de survenir à la suite d’un choc – Peter a appris par l’un de ses camarades que ses parents étaient morts, qu’il était orphelin de guerre – l’épisode révèle rapidement à l’enfant quelques travers de la nature humaine. À la joie succède donc la tristesse, à la gaieté candide l’accablement, malgré le soutien indéfectible de Gramp, à mesure que l’étonnement méfiant que lui renvoient ses camarades et les habitants de la ville laissent la place aux moqueries, à la parano, au rejet. Ce n’est pas normal, c’est peut-être contagieux, cela ne se peut. Le lait frais livré chaque matin sur le seuil des maisons en serait-il la cause ? Le laitier s’en défendra, mais en fera les frais. Là encore, quelques dialogues, à peine plus de situations et de regards en coin suffiront à dessiner les traits acides d’une intolérance, d’une stupidité révoltantes, d’une peur de l’autre et de la différence tout entières contenues dans cette couleur que les habitants aiment devant leur maison, mais surtout pas sur la tête d’un garçon de douze ans. En miroir, la scène montrant Gramp présenter fièrement son petit-fils aux commerçants et voisins croisés dans la rue se voit remplacée par une mise au point nécessaire au milieu d’expressions suspicieuses et de visages fermés.

 

La force et la beauté du film résident dans cette parabole, cette idée simple des cheveux verts dont l’incongruité s’efface rapidement pour devenir un symbole, celui, à l’inverse, de la générosité et de la tolérance. Épousant le rythme des vagues, avec leurs creux et leurs élans, et n’oubliant jamais qu’il fait progresser en parallèle un destin individuel et celui, plus universel, d’une communauté humaine marquée par l’Histoire, via son ancrage dans ce contexte d’après-guerre, le film se fait ainsi le reflet d’un parcours personnel vers le respect et l’acceptation, marié à un profond souhait de pacifisme et d’éveil des consciences. Ces deux mouvements se rejoignent dans ce qui demeure l’une des plus poignantes scènes que l’on ait vues sur un écran. Déjà profondément blessé car rejeté, incompris et moqué, Peter repense à ses parents et déchire sans l’avoir lue leur lettre, que Gramp avait cachée. Au comble du désespoir et de la solitude, le jeune orphelin s’enfuit, avec au cœur l’idée que ses parents ne l’aimaient pas, l’avaient abandonné en préférant aller sauver d’autres enfants que lui. Son visage enfoui dans l’herbe et baigné de larmes étreint et saisit dans un plan ravageur de beauté formelle et de force émotionnelle. Mais ce n’est rien comparé à la scène suivante, qui voit les orphelins déguenillés, mutilés pendant la guerre et représentés sur des affiches posées dans l’école, prendre vie, apparaître en chair et en os au milieu d’une clairière et s’adresser à Peter, complimentant la couleur de ses cheveux et s’en emparant pour en faire le symbole vibrant, vivant, des horreurs qu’ils ont croisées et d’une funeste destinée qui ne devrait plus jamais exister.

 

Une épiphanie dans la trajectoire de Peter, les paroles de ces enfants et de toutes les victimes de la guerre transmises par la nature de ses cheveux comme par un porte-voix. Dans un renversement désarmant de soudaineté, l’élément stigmatisé devient objet de fierté, la couleur honnie incarne ce à quoi on l’associe, c’est-à-dire l’espoir (comme le pensait l’épouse de Gramp, qui soignait toujours une plante verte lui disant que le vent pouvait souffler, le printemps reviendrait), le personnage brimé se mue en héraut de la paix. Ho, pas pour tout le monde, non. Alentour, dans le regard des autres, rien n’a changé, et le passage obligé chez le coiffeur devant des témoins muets, comme conscients de leur imbécillité sans parvenir à y échapper, soulèvera un poignant sentiment d’injustice. Mais pour Peter, l’espace de quelques heures, l’épreuve aura connu une parenthèse enchantée, transcendée par la mission qu’il s’est vue confier, comme un rempart à l’ignorance, une foi qui, même non partagée, illumine celui qui a su la sentir vivre en lui et est parvenu à aimer sa différence.

 

La boucle est bouclée avec le retour au temps présent, au poste de police où Gramp et l’institutrice sont désormais arrivés et devant lesquels Peter prend enfin connaissance du contenu de la lettre de ses parents, qui l’invitent eux aussi à s’ouvrir (« Cela aura valu la peine si ceux qui ne sont pas morts n’oublient jamais. S’ils oublient, rappelle-leur ») et affirme que quand ils repousseront, ses cheveux seront verts. Cette histoire-là se referme sur elle-même, la dernière page du livre se tourne, tandis que l’Histoire avec un grand H, des décennies après la réalisation du film, se poursuit inlassablement. Toute œuvre de fiction, qui plus est à teneur fantastique, qu’elle est, cette fable, importante goutte d’eau au milieu de l’océan, fait résonner une réalité très concrète, que l’on pourra d’ailleurs relier à l’exil auquel fut contraint Losey lui-même, victime quelques années plus tard du maccarthysme. The Boy with Green Hair est un film fort en ce qu’il véhicule, de sentiments, d’idées, de conception sur la relation au monde, en tirant sa profondeur d’une certaine forme de naïveté, en s’appuyant sur une tendresse, une sensibilité, qui ne masqueront pas la gravité sous-jacente de l’ensemble mais nous diront, modestement, comment regarder, plutôt que quoi regarder. En essayant de rester petit, simplement vrai, The Boy with Green Hair devient un grand film.

 

Et puis, impossible de s’arrêter là sans rendre un hommage sincère à Jean Boullet, qui écrivit pour Midi-Minuit Fantastique une merveille de chronique à propos, et à l’image, de ce film de Losey. C’est bien simple, l’une et l’autre sont beaux à pleurer, pour résumer.

 

Audrey Jeamart